Il est un des lieux communs de la marche que de souligner sa capacité à nous abstraire de la marche du monde, à nous faire entrer en méditation, en contemplation ou – pour donner dans le contemporain – à contribuer à l’évacuation du stress. Pourtant, il existe à mes yeux une autre vertu dans l’itinérance pédestre…
Un après-midi d’hiver dans un soleil d’œuf au plat – tellement le ciel blanchissait sous le froid – j’avançais, solitaire, le long d’un chemin vicinal rectiligne et littéralement déposé sur un talus qui séparait de part et d’autre deux immenses champs cultivés en contrebas. Au bout d’un moment, je me surpris à dévisager mon ombre projetée sur le champ à ma gauche et qui s’obstinait à me montrer la voie, toute à son travail discipliné. Je la trouvai vite charmeuse cette ombre, découpant dans les semis de blé ma silhouette un peu voûtée, portée par mon chapeau camarguais. Comme un appel au large, aux grandes étendues sans frontières. Difficile de dire pourquoi à cet instant, dans cet isolement figé, je me trouvai beau… oui, beau. Au point de m’émouvoir non pas encore une fois comme un Narcisse affamé mais plutôt comme un “pauvre“ homme qui s’autorise à se regarder nu (car finalement tout ombre est un nu), en face (même si c’est de côté…), sans fard et finalement avec une lucidité émerveillée. Car la marche offre à nos lunettes civilisées et si exigeantes, un regard dépouillé où la traque sourcilleuse des qualités et défauts s’efface au profit d’un œil de nouveau-né… C’est ici la Terre ?
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