Plus le chemin est long, rectiligne, sans surprise à la monotonie pacifiée, plus la pensée virevolte, crochète, rebondit sans rigueur et souvent facétieuse. Alors qu’un lapin dévalait toutes oreilles dehors à l’avant de mon sentier provençal, je m’embarquais pour Iéna – 1795-1798. Des coordonnées aux allures de GPS pour un miracle dont le monde ne s’est pas encore vraiment remis. Alors qu’outre-Rhin (pour les Allemands), les Français viennent d’inventer le “je » en politique, une poignée de libertaires avant l’heure inventent et existentialisent le leur en culture. Il y a là les 2 grands “frères”, Goethe et Schiller qui ont appris à se câliner après s’être copieusement jalousés…, Fichte qui surveille son nouveau Moi comme le lait sur le feu et puis une poignée d’ados attardés, rigoureusement indisciplinés : Schelling (qui fera venir Hegel), les (vrais) frères Schlegel et von Humboldt, Novalis qui vient en voisin, Tieck… Tous tournent en rond dans le carré parfait et très réduit qu’est le Iéna de l’époque sous la baguette de “Miss“ Caroline Böhmer qui devient Caroline Böhmer-Schlegel puis encore Caroline Böhmer-Schlegel-Schelling ! (on n’arrête pas le progrès dans ce remue-ménage moral !)
De débats survoltés ou poussifs en soirées ethylo-acharnées en passant par des querelles rabelaisiennes ou de longues errances le long de la Saale, cette poignée affirme un pouvoir absolu, celui de la création par l’individu, reconceptualisant par là-même la Liberté, chérie ou… sacrée. Ils ouvrent la voie aux Romantiques qui inonderont le XIXe siècle occidental.
Quelques années plus tard, Bettina von Arnim, amoureuse éperdue de son grand ainé (et marié !) Goethe et future influenceuse avant l’heure, lui écrira : “Le monde n’a pas besoin de savoir que tu m’aimes”. Comme une revendication acharnée de cette nouvelle ivresse de vivre… Une vraie marche en avant…

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