“Celui qui a cherché Dieu une seule fois finit par le trouver partout…“

Deux écrivains constituent la source la plus inspirée de mon inclinaison pour la marche : Hermann Hesse et Adalbert Stifter.
D’abord, le premier que je découvre par “Tessin“, un livre posthume, recueil choisi de textes, poèmes, aquarelles et nouvelles sur cette Suisse italianisée, refuge pacifié de l’auteur et miracle d’une rencontre mille fois célébrée entre les Alpes et la Méditerranée. Marcheur paisible mais déterminé, Hesse manie le récit comme un botaniste le ferait d’un bulbe d’iris pour en deviner la teinte. Naturaliste pour mieux extraire la moindre parcelle de poésie du paysage, il fusionne lumières, fragrances, reflets, couleurs, caprices du ciel ou formes des arbres dans un vaste élan spirituel régénérateur. Hesse avec Tessin puis l’Enfance d’un magicien, le Dernier Eté de Klingsor (et bien d’autres !…) a allumé une nouvelle vie pour mon esprit détournant mes envies d’action ou de frénésie pour la constante et régulière énergie que provoque la contemplation.
C’est lui qui m’amène à Stifter et son incroyable “Homme sans postérité“ ; cette histoire improbable d’un jeune homme parti à pied sur les conseils insistants de sa mère à travers les montagnes à la rencontre de son oncle qui vit isolé sur une île d’un lac alpin et lui révèlera après une longue partie de cache-cache qu’il n’a en fait rien à lui dire… C’est avec ce livre que mes pieds, chatouillés par Hesse, se mirent enfin en marche…
Mes deux parrains ne m’ont depuis jamais quitté et si j’ai lu toute leurs œuvres, il m’arrive bien souvent d’en reprendre une au hasard, les yeux mi-clos un peu comme si je m’allongeais à la verticale du Midi, en haute altitude, à la croisée des nuées… Et c’est dans ces moments-là, d’une joie dépouillée, que la phrase de Novalis prend pour moi tout son sens : “Celui qui a cherché Dieu une seule fois finit par le trouver partout…“

Ces pélerinages sans Compostelle…

Caspar David Friedrich est vraiment le peintre des randonneurs. Solitude, Ciel et (tout) Petit Homme.
N’importe laquelle de ses toiles nous ramène à ce triangle isocèle.
Nous sommes si petits, enfouis sous ce vaste ciel qui délimite au fusain notre solitude de marcheur. A l’âme, au corps (et à la cheville !), Caspar nous porte. Que l’on soit tour à tour fatigué, endolori, ragaillardi, tout frais-naïf du matin ou extatique, il est le chemin de nos yeux dans ces pélerinages sans Compostelle, celui qui redonne l’envie aux paysages traversés par simple transfiguration. J’aime superposer à un paysage moderne que je traverse, une toile du Caspar. Comme un filtre qui viendrait se poser en douceur entre nos yeux et la réalité extérieure.

Et pour un marcheur au long cours, contempler une simple reproduction de Caspar – même de mauvaise qualité – depuis un décor impersonnel et froid comme un bureau ou une chambre d’hôtel est la première marche du voyage, son premier pas.
Mais si la Nature est l’Homme qui participe de Dieu, quelle place reste-t-il à la Création ?
Cette question « péri-spinozienne », Caspar nous la repose sans cesse avec un mélange de tendresse et un soupçon de candeur… Quitte à voir fondre sur lui les hérauts bien pensants des religions révélées…

Marcher est une Révélation.
C’est l’Etre – déjà – au Paradis, accompli dans le vaste mouvement immobile du Tout.
Je marche, donc j’ai été…
Reste alors à l’Eternité à ne connaître que des contemporains et plus aucun survivant pour paraphraser maladroitement Herman Hesse.