En cette année, l’hiver était entré en résistance… s’acharnant à repousser le balcon du Printemps de ses jets d’eau réfrigérée.
Les amandiers, déconcertés mais fidèles au poste, attendaient toujours le signal pour lancer l’avant-garde rosé de la grande marche printanière.
Les abeilles s’occupaient de quelques raids exploratoires alentour mais stériles et commençaient à trouver le temps long alors que les futurs Flambés, Citrons, Vulcains et autres Azurés conservaient sous terre, un brin étonnés, tout le loisir de peaufiner leurs ramages colorés.
En fait, la nature commençait à s’ennuyer… De cette démonstration – surjouée – de force hibernale.
Et moi, je décidais de m’amuser… En toute innocence, certes !
J’avais bien noté sur plusieurs récits de confrères que ma randonnée se terminait par un passage de gué délicat et parfois impossible en cas de débit trop important… Je décidai de relever le “défi“ (tout en notant l’itinéraire alternatif décrit au cas où !). Toute ma marche fut sous-tendue par l’anticipation de cette “difficulté“ au point de devenir une véritable croisade contre ce gué qui se transforma peu à peu en ma “Jérusalem“ (après tout, l’adage populaire dit bien : “A chacun, son Everest“ !…).
Après 7 bonnes heures de marche, je découvris enfin, au versant d’une colline, l’aquatique objet de mon désir… pour m’apercevoir effectivement que la traversée méritait une bonne anticipation… D’une largeur de 20 mètres à peu près, avec 50 à 60 cm de profondeur (mon évaluation), animé d’un courant conséquent, la rivière, d’ordinaire si famélique en été, semblait déjà me narguer de ses soubresauts rocheux… Que m’importe ! Galvanisé par un enthousiasme juvénile et peu impressionné, je relevais aux genoux mon pantalon et me déchaussais sans même prendre la peine, pour libérer mes mains, d’attacher mes chaussures au sac. Hors de question de sortir le “grand jeu“ pour un tel obstacle que je décidais de minimiser. Je pénétrai donc dans l’eau glacée, bien décider à garder la tête haute et de rester insensible à la “douleur“. A mi-parcours, inévitablement, mon pied gauche glissa sur l’une des pierres et je n’eus pas d’autre choix, pour me stabiliser, que de me retourner face à l’amont en prenant tout mon appui sur ma jambe droite ce qui offrit à l’eau – trop heureuse d’une telle opportunité – de partir à l’assaut en toute liberté de mes cuisses, bas-ventre et thorax. Le reste de la traversée fut une grande fuite en avant, désordonnée et chaotique, qui aurait probablement bien fait rire les spectateurs (s’il y en avait eu…).
Arrivé enfin sur l’autre rive, détrempé aussi amusé qu’un peu vexé (soyons honnêtes !), je m’appuyai sur un monolithe granitique à la forme conique et aux allures tendrement paternelles. Je me surpris alors à lui raconter mon aventure (au cas où il ne l’aurait pas vu !) tout en m’en octroyant une certaine contenance (après tout, j’avais bien réussi non ?). Je tournai ensuite les yeux vers ces flots que j’avais vaincus et fus soudain saisi d’une mystérieuse Correspondance qui m’entraina à davantage de gravité, éteignant mon sourire frugal pour un regard plus absent… Revins à moi à cet instant et au gré du gué une phrase de Novalis, mémorisé à mon adolescence, et qui 32 ans après, prenait tout son sens : “Est-ce que le rocher ne devient pas un Toi quand je lui parle ? En quoi suis-je différent du fleuve quand avec mélancolie je me regarde dans ses vagues ?“
Une autre aventure commençait…