“Elles étaient maquillées
Comme des stars de ciné
Accoudées au rocher
Elles rêvaient qu’elles posaient
Juste pour un nouveau sommet
A la gloire de l’Eté…“
Qu’Eddy Mitchell me pardonne cet emprunt inaugural – légèrement détourné ! – mais ce sont les premières paroles qui me vinrent à l’esprit lorsque je découvris, dégoulinant de sueur après l’ascension par la voie la plus difficile d’une légendaire montagne provençale, ces 3 dames “d’un certain âge“, appuyées contre un rocher de crête, toute occupées à leurs abondantes ripailles et dont la principale préoccupation semblait bien être de ne pas tâcher leurs tenues de randonnée du dernier cru…
Jonglant avec dextérité entre tranches de melon, pêches juteuses, œufs durs et “authentiques“ (selon leurs dires) Madeleines de Commercy, multipliant les formules et les gestes de politesse surjoués entre elles et vociférant de rires appuyés juste comme il faut, elles m’enveloppèrent instantanément d’un nuage de bonne humeur bienvenu après de tels efforts.
Après un timide bonjour de ma part qu’elles relevèrent de signes de la main très travaillés, je décidai alors, pour ne pas troubler le festin de ces dames, de me ranger un peu plus loin – j’avais aussi besoin d’une pause ! – tout en me débrouillant de garder un œil complice et tendre sur ce spectacle pour le moins inattendu à de telles hauteurs…
Plusieurs minutes passèrent ainsi où, tout à ma fierté d’avoir réussi cette ascension (la plus difficile de la montagne en question), j’entrepris notamment de ré-enrouler ostensiblement ma corde autour de mon avant-bras, histoire de leur signifier clairement que nous ne jouions pas dans la même catégorie (chassez le naturel masculin, il revient au galop !!). C’est alors que l’une d’elles vint vers moi, le pas assuré, se planta devant moi et me demanda… si je n’avais pas de la ficelle !
La question me désarçonna un peu mais comme elle flattait mon instinct de Saint-Bernard, je pris un air très sérieux et entrepris de chercher méthodiquement dans mon sac (même si je savais pertinemment que je n’en avais pas).
Au bout d’un moment, je me façonnai la mine la plus déconfite possible pour lui avouer mon impuissance… Puis pour me redonner de la contenance, je m’enquis de connaître les raisons d’une telle requête.
Mon interlocutrice m’avoua alors qu’elles étaient des touristes “en goguette“ (selon ses termes) et que l’une de ses consoeurs de marche avait perdu lors de la montée les deux semelles de ses chaussures et qu’elle se voyait donc obligée d’entreprendre la très caillouteuse redescente “en chaussons“ (l’expression sonna de manière exquise dans mes oreilles)… sauf, si avec de la ficelle, nous pouvions les lui ré-attacher… A cet instant, le trio me parut si attachant et désarmant de spontanéité que l’idée de porter la « victime » sur mes épaules pendant les 2 heures requises me traversa l’esprit…
De manière plus réaliste tout de même, je rejoignis la déchaussée et entrepris d’examiner professionnellement son cas… Oubliant alors mes propres contraintes et la boucle que j’avais prévue, je leur proposai un itinéraire alternatif, plus doux, qui les amènerait au bas de l’autre versant à un parking où elles pourraient appeler un taxi qui les ramènerait ensuite en une demi-heure au lieu de stationnement de leur voiture. Si elles acceptaient l’idée, je marcherai en tête sur le sentier qui m’était très familier en choisissant la trace à suivre la plus adaptée à ces petits pieds exposés à de grands dangers.
L’idée les enchanta et elles le marquèrent bruyamment par de multiples remerciements enjoués. C’est ainsi que je me retrouvai transformé en sherpa de luxe (plus élégant que le qualificatif d’“l’Escort Boy“ dont elles m’affublèrent en gloussant) et reconduisis, au ralenti et chargée du sac de Madame, mes 3 bourgeoises chéries… Au moment où nous arrivions en vue du parking et que le taxi – joint par mes soins pendant la marche – faisait son apparition, la déchaussée lança tonitruante : “Voilà, je suis la nouvelle Cendrillon ! J’ai descendu la montagne en chaussons… Il faudra que je raconte tout ça sur mon blog ! C’est épatant !!“
Bienheureux, je pris alors le temps de regarder la voiture s’éloigner rapidement pendant que je réalisai qu’il ne me restait plus qu’à reprendre le chemin en sens inverse pour rejoindre le tracé de ma boucle !
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quand « Hasta la Victoria » se met au service de 3 bourgeoises ou comment les préceptes révolutionnaires cèdent sous le poids d’une éducation de bon chrétien…
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